Différences entre versions de « Le carnet de poilu de Robert Solleret »
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Marche contre l’artillerie. Combat assez fort du 39e et 14e contre les Allemands. Nombreux morts dans les champs. Nous sommes complètement sous le feu de l’artillerie à 10h. On devra notre salut à notre lieutenant. Déplacement précipité. La canonnade continue intense. Nous sommes troupe de couverture. La fusillade crépite. Nous devons prendre Reims. Nous sommes sur les hauteurs avoisinantes. Le 120e et le 75e marchent très fortement. Les Allemands reculent. Le canon continue. Je suis très fatigué. | Marche contre l’artillerie. Combat assez fort du 39e et 14e contre les Allemands. Nombreux morts dans les champs. Nous sommes complètement sous le feu de l’artillerie à 10h. On devra notre salut à notre lieutenant. Déplacement précipité. La canonnade continue intense. Nous sommes troupe de couverture. La fusillade crépite. Nous devons prendre Reims. Nous sommes sur les hauteurs avoisinantes. Le 120e et le 75e marchent très fortement. Les Allemands reculent. Le canon continue. Je suis très fatigué. | ||
==Lundi 14== | ==Lundi 14== | ||
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Les Allemands sont dans le fort de Brimont. Ils ont une artillerie redoutable. Le fort est à 800 m de Courcy. Nous occupons la ligne de chemin de fer. Il est impossible d’avancer. On entend la fusillade par moment, mais principalement sur la droite. Le duel entre l’artillerie est terrible. Les obus sont percutants. Ils éclatent de toute part près de nous. L’on vient sous la mitraille, rapprovisionner la 3e compagnie de cartouches. Rien n’est comparable comme mitraille. Plusieurs blessés. A la compagnie, 24 blessés, 2 morts. | Les Allemands sont dans le fort de Brimont. Ils ont une artillerie redoutable. Le fort est à 800 m de Courcy. Nous occupons la ligne de chemin de fer. Il est impossible d’avancer. On entend la fusillade par moment, mais principalement sur la droite. Le duel entre l’artillerie est terrible. Les obus sont percutants. Ils éclatent de toute part près de nous. L’on vient sous la mitraille, rapprovisionner la 3e compagnie de cartouches. Rien n’est comparable comme mitraille. Plusieurs blessés. A la compagnie, 24 blessés, 2 morts. | ||
==Mardi 15== | ==Mardi 15== |
Version du 13 octobre 2017 à 15:45
Quelques dates personnelles.
Fils de Gustave Solleret et de Marie-Françoise Olivry, il grandit dans sa ville natale avec son frère Alcide, futur militaire et ses trois sœurs, Zélia, Suzanne et Lucienne.
Il apprit le métier de couvreur-plombier chez Monsieur Mordant, avant de s’établir à son compte, à la fin de la guerre, au 185, Grande Rue, puis au 234 bis Grande Rue.
Il s’est marié le 15 janvier 1919 avec Jeanne Régnier et a eu trois enfants :
Maurice, conseiller municipal et futur maire adjoint sous plusieurs mandatures et membre actif de la vie communale et associative.
Yvonne, future Mme Esbrat. Sa belle-famille tenait le Café du Commerce, au coin de la rue Paul Doumer et de la rue de l’Hautil, à Triel.
Françoise, future Mme Delrio, membre actif de la vie associative et communale trielloise.
Robert Solleret est décédé le 9 novembre 1952 à Triel et est inhumé dans le caveau familial.
Détails des services et mutations diverses
Incorporé à compter du 8 octobre 1913. Arrivé au corps le 8 octobre 1913. Soldat de 2e classe. Soldat de 1e classe. Le 23 avril 1914. Nommé caporal le 15 août 1915. Disparu le 28 janvier 1916 à Frisa. Prisonnier à Hameln. Rapatrié d’Allemagne le 19 décembre 1918. Affecté au 5e régiment d’infanterie le 27 janvier 1919. Passé le 16 mai 1919 au 72e régiment d’infanterie. Mis en congé illimité de démobilisation, 8e échelon, le 27 août 1919. Se retire à Triel-sur-Seine, 24 Grande Rue. (Seine et Oise). Source : Expo de Triel-Mémoire-Histoire de mars 2016 sur la guerre de 14-18
Présentation de Robert Solleret par Françoise Del Rio, sa fille et Florence Paillet.
Transcription du carnet de poilu de Robert Solleret. (1914-1915)
129e RI.
Campagne 1914 :
Pays passés
Le Havre :les 3, 4, 5, 6 août.
Villers sur le Mont :les 7, 8, 9, 10, 11, 12.
Warcq : le 16
Blombay: le 17
en Belgique
Gendron-Monceau : le 18.
Fourbechies : le 19.
Somzée : le 20.
Bu ….. : le 21
Chatelet : le 22
Hanzine : le 23.
Hanzinelle : le 24.
Rance : le 25.
en France
Fourmies : le 26.
Robert Solleret est né le 16 juillet 1892, à Triel-sur-Seine, dans la demeure de ses parents, au 211, grande rue, notre actuelle rue Paul Doumer.
Monceau : le 27
Vervins : le 28.
Gercy : le 29.
Puisieux : le 30.
Montigny : le 31.
Aougny : le 1e sept.
Chatillon les Sons : les 2, 3.
St Genest : le 4.
Courgivaux :les 5,6.
La Chaussée : le 7.
Montmirail : le 7.
Breuil :le 8.
L’Erol : le 9
Oeilly : le 10 sept.
Gueux : le 12.
Courcy : les 13,14, 15, 16.
Blessé le 17, évacué à Gueux.
Rejoint le 26 à Merfy.
Merfy : le 28 sept.
Mardi 4 août 1914.
Déclaration de la guerre. Appris vers 4h 45. Rue trouvée calme. Attendant le départ des régiments qui doit commencer.
Jeudi soir.
La Belgique est envahie. L’Italie déclare sa neutralité. A la porte de la caserne Kléber, à 2 h, un allemand criant des mots séditieux pour la France, fut copieusement lynché par une foule exaltée ; il dut son salut à l’intervention de l’armée. Il est en cellule provisoirement. Des détachements d’engagés traversent la ville en chantant « la Marseillaise ». Il me semble que la nouvelle situation de guerre est naturelle pour moi que nous …. A la défaite serait pour le monde un retour à la barbarie. On signale quelques accidents.
Mercredi 5 août 1914.
J’ai passé une nuit très mouvementée, rêve et réveil de mes chers parents, de ma Jeanne et de sa chère famille, qui pour moi en est une seconde, mais il y a le devoir avant tout. L’Angleterre déclare officiellement la guerre à l’Allemagne. L’on acclame de drapeau britannique ; l’avis général est que nous serons vainqueurs et l’Allemagne deviendra une République. Une patriotique manifestation a eu lieu dans la cour de la caserne, un groupe d’Anglais, au milieu d’une ovation indescriptible ; un drapeau anglais entoure notre drapeau national : spectacle …..
Jeudi 6 août 1914.
Nuit passée dans les écoles. Le régiment fait une marche de 12 km vers Harfleur. J’ai touché toutes mes cartouches, un paquet de pansement. L’idée de ma Jeanne ne me quitte pas car je la sais fidèle à toutes ses promesses. Nous partons du Havre à 11h 15, au milieu d’un enthousiasme, aux cris de « A Berlin » et .. Ce sont les bouquets donnés par les civils et les jeunes filles.
Vendredi 7 août.
Le train a pris la direction de Paris. Nous allons jusqu’à Houilles. Arrêt. La nuit passée sur les bancs du wagon sans pouvoir dormir. Nous reprenons la direction de la ligne du nord par Achères, tout en ayant vu passer Vernouillet et Triel, là où sont tous mes chers parents et mon avenir, sans pouvoir leur dire peut-être un dernier adieu. Le capitaine nous prévient que nous allons (être en) première loge pour la bataille. En route, nous mangeons le singe et quelque conserve, sardine et pâté ….. du Hâvre, du vin, du café donnés les dames de la Croix Rouge, partout dans les gares : Soissons, Reims, Laon, l’on nous accueille. J’écris une lettre à ma petite Jeanne que je remets à l’employé. Nous arrivons le soir vers 11 heures à Poitréron ?. Le pays est merveilleux, la campagne calme, il fait froid, il pleut, nous traversons la plaine. 5 km. Nous sommes … couchés dans un petit village où l’on réveille les habitants.
Samedi 8.
Réveil vers 7. Café. Grande halte dans le village de Villers sur le Mont. Les tas de fumiers devant les portes. Il ne reste plus rien à acheter que du lait, du beurre. Avec mon copain ?, nous avons une fermière qui nous garde notre lait, 6 litres par jour. On annonce la prise de 5 Hulans. Nous attendons l’ennemi qui est dans les environs ; on fusille 4 espions. Les routes sont étroitement surveillées. Le village est en armes. L’on touche les repas froids pour le lendemain, en cas d’alerte.
Dimanche 9.
Réveil à 4 heures. Café. Puis, tirailleurs au combat, marche d’approche vers l’ennemi ; les aéroplanes allemands forme Pigeons viennent en reconnaissance. La frontière est très proche ; se trouve devant nous, la forêt des Ardennes ; retour du bataillon, vers 9h. Soupe bœuf sans légume. La mobilisation s’effectue merveilleusement : les munitions et les effets arrivent à l’heure prévue, ainsi que l’approvisionnement. Les Français sont entrés dans Mulhouse après une sanglante bataille. Demain, nous entrons en Belgique. C’est le désir de tous. Nous attendons les renforts anglais. Le drapeau est au cantonnement. L’on mange des pommes pour se rafraîchir car l’eau manque dans le village. J’écris à ma petite Jeanne car je ne l’oublie pas. Repos à 8 H. Diner avec du lait. Nous avons passés une assez bonne nuit, toujours dans la paille. L’on touche deux jours de vivres. Les allemands doivent avoir un merveilleux service d’espionnage.
Lundi 10.
Réveil à 4h. Rassemblement à 5h. Départ 5h 10. Exercice … de tirailleurs ; nous passons dans la forêt en colonne ….. Le pays est merveilleusement accidenté, les forêts tous sapins. Les sacs commencent à être très lourds. Je lave mon linge dans la mare et le linge de Levy. On apprend qu’un engagement de cavaliers français a eu lieu à Bouillon entre les Uhlans. Le 329e doit arriver aujourd‘hui. L’eau devient rare. L’on passe l’après-midi au cantonnement avec Henri. Je reçois pas de nouvelles de ma Jeanne. Repos à 9h dans une grange.
Mardi 11.
Réveil à 4h. Départ à 5h. Dans la forêt des Ardennes, tirailleurs au combat vers Charleville, en revenant de service en sentinelle.
Mercredi 12.
La nuit est très calme, la nuit très brillante. Rien de signaler. La matinée est douce. Nous restons au cantonnement. Les avions allemands passent à ? Encore aucune nouvelle de Jeanne ; je reste de service : il est difficile aussi de donner de mes nouvelles. Nous mangeons une bonne soupe, un bon litre de lait, une partie de manille et coucher dans la paille.
Jeudi 13.
Réveil à 3h ½. Départ à 4h 40. Le bataillon a passé Yvernaumont, Boulincourt, la Francheville, 14km. Corvée de paille à 12h. Nous sommes casernés dans une ancienne poudrière, dans une forêt. Je reçois une lettre de ma Jeanne à 6h ; elle me réconforte. Je lui réponds de suite. Passent des aéroplanes, les mitrailleuses tirent dessus. L’on croit à un réveil alerte.
Vendredi 14.
Réveil à 4h ¼. Rassemblement et départ à 5h. ; Tirailleurs marche dans les bois, une patrouille de cavalerie française.
Samedi 15.
Reste à la poudrière à la Francheville.
Dimanche 16.
Repos.
Lundi 17.
Départ 4h. Arrivée à Blombay.
Mardi 18.
Départ à 4h ½. Frontière belge. 2h, arrivée à Monceaux. Arrivée enthousiasme.
Mercredi 19.
Départ à 4h ½ du matin. Arrivée à Cendre ? 6h 05 du soir. Rance 5km. Beaumont 12km. Grande halte. Visite à Fou….y. Cantonnement dans une maison isolée.
Jeudi 20.
Réveil à 4h. Départ à 7h. La veille, café et viande à minuit. Troupes (zouaves, tirailleurs algériens, tirailleurs sénégalais). Tabac belge 0.70 la livre, cigarettes. Philippeville Galimpol 1h. Pas encore de grande halte à 1h 25. Chastrès à 2h 25. Café dans les rues. Cantonnement à Zomzée (Somzée).
Vendredi 21.
Garde de police à Gerpinnes. Réveil à 6h. Fête de ma petite Jeanne. Prêt à lui écrire. A 2h, le canon tonne (nous sommes en rang de combat dans un champ, au nord de Gerpinnes ; les Allemands sont proches : on entend leur artillerie. Nous sommes en 2e ligne : le 39e en avant, le 36e à gauche, le 129e au centre, le 74 à droite, le 3e bataillon du 129e en réserve. Un aéroplane allemand passe juste au-dessus de nous. Au milieu, une fusillade de mitrailleuses, il n’est pas atteint ; fuite des habitants dans les villages bombardés.
Samedi 22.
Arrivée à Marchiennes à 1h du matin. Départ à 2h ½. Les habitants fuient de tous côtés. Le canon tonne. Nous sommes sur la ligne de feu (2e bataillon) … Les maisons brûlent. La journée va être chaude.
Hier, la bataille a été dure, menée par le 39e. Nous avons eu 16 morts et des blessés. Les pertes allemandes sont considérables par l’artillerie.
Nous sommes au Chatelet où nous avons resté couchés 2h, où j’ai rencontré Emile Leprêtre qui m’a donné du pain. Nous sommes retournés dans la plaine. Les allemands sont dans la vallée de la Sambre. Le 74e se bat, le 36e est à notre droite. Le canon tonne sans arrêt des deux côtés. La fusillade, sans arrêt, le 39e s’est battu hier. La bataille a commencé dès le réveil. D’abord les 2 artilleries se bombardent : les allemands occupent le village et tirent par les fenêtres (Chatelet) ; ils semblent s’avancer ; vers 9h ½, l’artillerie française s’est tue. Nous sommes en tirailleurs dans les tranchées puis les obus éclatent à nos côtés de tout part à centimètres. L’artillerie allemande parait avoir un feu peu effectif. La fusillade est continue. Tout à coup, l’artillerie française entre en scène. Les obus se continuent sans interruption. L’artillerie allemande s’incline car elle est trop inférieure. Le village est littéralement embrasé par les français ; puis les colonnes d’infanterie profitent de cette supériorité pour attaquer le village. Les obus allemands sont peu effectifs. L’attaque du village a lieu. La fusillade est incessante et l’artillerie allemande change alors d’emplacement et bombarde l’artillerie française. Celle-ci ne répond pas.
Repas, on fait défaut hier midi.
L’artillerie française tonne de nouveau, à 50 m de la crête principale. L’artillerie allemande répond. Les balles sifflent au-dessus de nos têtes. Les tirailleurs sénégalais entrent en scène. Le canon fait rage surtout du côté français. Je suis derrière une tranchée comme soutien d’artillerie. La situation devient tout à coup intolérable : les allemands, supérieurs en nombre, avancent continuellement. Nous quittons nos tranchées. Les balles sifflent de toute part car 6 mitrailleuses sont braquées sur nous. Nous traversons le bois. Les allemands ont l’avantage car les zouaves plutôt sacrifiés, sont presque en retraite. On fait donner la réserve : plus rien à faire car l’adversaire est trop nombreux. Nous quittons la position avec les zouaves, les tirailleurs algériens, battant presque en retraite.
Nous traversons Henzines (Hanzinne) où passent des tirailleurs et des forces considérables.
Les pertes allemandes sont très fortes.
Côté français :
36e et 74e cruellement éprouvés.
129e, le 1er bataillon est très éprouvé.
La 5e compagnie : 4 blessés.
6e manque 79 ; 7e manque 71 ; 18, 32. Le corps d’armée est réduit à régiment bien fourni.
C’est un échec sûrement mais cela est, sans doute la promesse d’une grande victoire.
Nous couchons en bivouac d’alerte au nord d’ Henzines (Hanzinne). Réveil alerte à 11h. Des régiments d’artillerie passent. Marche jusqu’à 4h du matin. Le sommeil est pesant, car depuis longtemps, on n’a pas dormi et la faim ardente. D’autres troupes plus fraîches attendues. Nous rendons nos cartouches de la ligne de feu. (Fait le café).
Dimanche 23 et lundi 24.
Nous marchons vers Hanzinnes (Hanzinne). Nous barricadons les maisons car nous avons reçu l’ordre de vaincre ou de mourir. Toutes les fenêtres sont bouchées avec des matelas, seule une ouverture pour les fusils. Nous faisons cuire des poules du village et traire les vaches.
Le canon bombarde notre artillerie au-dessus du village. Nous croyons à notre dernière heure (souvenir de ce pays triste). Nous sommes dans la maison : au 1er, 10, au rez-de-chaussée, 15. Nous avons chacun 300 cartouches. La nuit fut dure à passer, toujours l’œil au guet, l’idée de ma Jeanne et de mes parents ne me quitte pas et mon petit Edouard. Je voudrais être près d’eux, leur donner un baiser à tous.
La matinée, l’ennemi semble reculer mais vers 3 heures, la fusillade commence autour du village. La situation est très grave car nous sommes 200 mais ils sont 25.000. Ce serait la mort certaine. Le colonel a reçu l’ordre de vaincre et de rester mais le lieutenant-colonel vient donner l’ordre de quitter immédiatement le village, car le bombardement va se faire. En effet, à peine avons-nous quitté Hanzinelle que le bombardement est commencé. De toute part éclate des obus, une maison s’écroule. Je rencontre Henri Prévost à la sortie. Nous nous replions car la poussée allemande est trop violente. La retraite a lieu, très calme. Les tirailleurs sont bombardés ; nous échappons par 25 secondes à des obus qui éclatent à 100 m. L’instant est critique. Nous quittons les environs, protégés par l’artillerie… la 5e protège la retraite derrière tous les tirailleurs mais l’artillerie nous oblige à nous replier : c’est la retraite. Nous marchons à vive allure et nous faisons 50 km, dans la soirée jusqu’à minuit. Cantonnement bivouac.
Mardi 25.
Nous passons à Baye. Macon. L’ennemi est proche. L’artillerie donne du côté de Valcourt. Nous sommes en première ligne de bataille. La marche est pénible. Beaucoup de copains souffrent des pieds, de faiblesse. Les ambulances sont pleines… Nous sommes en bivouac à Macon (Belgique) après avoir passé en France. Nous sommes sales et noirs, les vêtements déchirés. (Il parait que le 1er corps se replie). Nous recevons l’ordre de retourner sur la ligne de feu. Nous sommes dans un bois où j’écris à ma Jeanne et je reçois une lettre. L’instant devient critique. On apprend que les Anglais ont pris Charleroi. Les Allemands ont une artillerie lourde mais effective au point de vue force. Nous avons pris 3 h de sommeil pendant 4 jours et mangé bien peu.
Mercredi 26
Dans le bois, aéroplanes français. Bivouac. Il semble que le canon s’éloigne. Nous partons à 4h pour Fourmies. Ecris à ma petite Jeanne. Nous passerons à Ligny, puis Fourmies où l’on cantonne dans un grenier. Nous sommes trempés. Arrivée à 11h du soir. La marche est désordonnée.
Jeudi 27
Réveil à 3h. Départ pour Becquigny où nous devons rencontrer l’ennemi et arrêté son élan. Trous de tirailleurs. A 6h, l’ennemi arrive de toute part. D’abord, on résiste puis on se replie. Le général Léhautier est là. Le bataillon se range dans le bois, emporte le combat. Il y a au moins 40 canons dans la prairie. La compagnie est perdue et le bataillon La Capelle Croix Rouge Vervins puis retrouvent une partie du 129e égarée qui vont arriver à Marle à 7 heures.
Vendredi 28
Puisieux. Déploiement en tirailleurs. Attaque du village. Bombardement de notre infanterie. Marche terrible sous l’artillerie. L’ennemi ne parait pas cependant. Il existe un duel terrible. Halte Puisieux. Bivouac à la Halte.
Samedi 29
Réveil à 4h. Attaque de Puisieux. L’artillerie commence un feu terrible. La nôtre répond. Le village est incendié. De 10h à 1h nous sommes sous le feu de l’artillerie. Les obus pleuvent à 40 m de nous. Tout à coup, l’artillerie cesse. Nous montons avec les tirailleurs à l’assaut à 300 des batteries ennemies. Le canon français tire sur nous. Les blessés sont nombreux, les morts plus encore. Le champ de bataille est jonché de cadavres. Bataille effroyable. Je ramène 1 blessé de la 8e ; les obus tombent dans la 1ère et 3 e section. La retraite s’effectue devant le colonel, les blessés sont effroyables. Le soir, en tirailleur sur le même emplacement, le 39e va à la baïonnette ; la charge sonne la Marseillaise. On se replie.
Dimanche 30
Départ à 5h. Le 129e, route de Laon puis à Crécy. Coucher à 11h du soir.
Lundi 31
Lever à 1 heure. Retrouvons le 129e qui passe. Continuons vers Laon. Grande halte dans les marais. Départ 8h du soir. Marche de nuit. Arrivée à Vorges à 10h ¼. Nous sommes harassés de fatigue. 2h de pose (pause) dans la paille. Je n’ai plus de képi. Nous touchons confiture, vin, café, pain chaud. … Voilà 26h que l’on marche. L’on repart. Cantonnement à 12 km de Reuilly.
Mardi 1er septembre
Nous avons marché toute la nuit. La fatigue est terrible ; beaucoup de camarades tombent : en tout 44 km de marche.
Mercredi 2 sept
Départ à 4h. Bivouac. Nous prenons la route de Reims. Grande halte à Cugny. Cantonnement à Clizy.
Jeudi 3
Départ à 1h ½ de Clizy. Port à Binson, Chatillon, Mareuil. Passage de la Marne. Je suis avec Raymond toute la route. Nous attendons l’ennemi à 12 km. Les ponts sautent (121 km de Paris). Il est 2h. Nous sommes en tirailleurs dans la plaine de Mareuil. (chaleur accablante). Les Allemands sont à quelques kilomètres. L’artillerie a commencé à 3h, il est 6h ½. Les obus éclatent au-dessus de nous. Une immense cuvette : nous occupons la partie sud, les allemands la partie nord. Dans un bois, la fusillade crépite ; nous devons les arrêter. La nuit dans la tranchée, il pleut. On tire sur une patrouille ennemie qui criait : « en avant, les enfants ».<b5/> Trente Uhlans sont tués. Mareuil est en feu ainsi que Port à Binson.
Vendredi 4
A 2h du matin, on entend la trompette allemande sonner le « En Avant ». L’attaque de Mareuil commence. Les Allemands sont fauchés par nos mitrailleuses. Nous nous replions vers Chatillon sur Marne. Nous nous arrêtons dans une forêt immense vers 12h. Le bivouac.
Samedi 5
Départ à 1h ½. Marche vers St Gemmes à travers les terres pour protéger le convoi. Le convoi du 119e est attaqué. Nous faisons la grande halte à 3h ½. Nous n’avons plus de pain. Nous avons touché 1biscuit ½ pour la journée. A 4h, nous repartons pour St Genest ? où nous arrivons à 11h. Les sentinelles, ayant vue 200 Uhlans, nous prenons les avant-postes dans un bois où nous sommes relevés à 6h du matin par le 28e. Nous nous sommes couchés à 3h du matin. La fatigue et la faim sont terribles.
Dimanche 6
Nous sommes soutiens d’artillerie à côté ouest de St Gemme. Les troupes passent abondantes, l’artillerie plus encore. Les 1ères positions sont prises vers 10h. Nous sommes en tirailleurs avec le colonel. Les obus tombent à 10m de nous. On apprend que l’armée du général Pau est à notre droite, l’armée anglaise à gauche. Nous devons enfin prendre l’offensive.
Le duel s’engage véritablement vers 4h. L’artillerie tire au moins 300 coups à la minute. La 3e section protége les mitrailleuses du lieutenant Lorenzt. Devant nous un buisson où est la 1ère ligne de feu. Le combat dure jusqu’à 9 heures. Nous nous replions et nous avançons finalement. La fin est à notre avantage. Je suis de la patrouille à la lisière d’un bois. Le combat recommence vers 3 heures. Nous avons été assaillis par une grêle de balles qui sifflent de toute part. Les obus éclatent autour de nous. Les Allemands reculent très fortement. On n’entend plus la fusillade. Je commence à revivre car je vois, que mes chers parents n’auront pas la présence de ces maudits Allemands. Le combat marche très bien.
Lundi 7
La bataille de Courgivaux est gagnée à 10h. Les allemands reculent de 10 km. Le 7e chasseur les poursuit. Nous continuons la marche offensive. La charge a été terrible, baïonnette cassée.
Mardi 8
Marche contre l’artillerie qui nous surprend sur une crête après 2 km. Nous arrivons à 8h Montmirail en colonnes par 4. L’avant-garde est surprise par un groupe avancé d’Allemands. Nombreux tués. (Nous occupons l’avant du village jusqu’à 10h.) … A 10 heures, nous nous retirons pour occuper un bois voisin. La pluie tombe fortement. A 8 heures, nous sommes réveillés par le canon. Café. Bombardement et prise de Montmirail. Un nombre très fort de morts et blessés sont dans la ville. Tout est saccagé et pillé. Nous continuons la marche.
Mercredi 9
La poursuite continue contre l’artillerie. Le 129e est en ligne. Je n’ai plus de vivres. La faim est très grande. Nous passons à Baune. Rien à acheter.
Jeudi 10
Nous passons à Baune, Dauvigny, Passy sur Marne. Marche contre l’artillerie qui nous bombarde. Courcelles. Pluie Torrentielle.
Vendredi 11
Marche continue. Pluie. Vent.
Samedi 12
Pluie continue. Angine.
Les Allemands reculent. Cantonnement dans un château à Gueux.
A Merfy, passons la nuit dans la cuisine.
Dimanche 13
Marche contre l’artillerie. Combat assez fort du 39e et 14e contre les Allemands. Nombreux morts dans les champs. Nous sommes complètement sous le feu de l’artillerie à 10h. On devra notre salut à notre lieutenant. Déplacement précipité. La canonnade continue intense. Nous sommes troupe de couverture. La fusillade crépite. Nous devons prendre Reims. Nous sommes sur les hauteurs avoisinantes. Le 120e et le 75e marchent très fortement. Les Allemands reculent. Le canon continue. Je suis très fatigué.
Lundi 14
Les Allemands sont dans le fort de Brimont. Ils ont une artillerie redoutable. Le fort est à 800 m de Courcy. Nous occupons la ligne de chemin de fer. Il est impossible d’avancer. On entend la fusillade par moment, mais principalement sur la droite. Le duel entre l’artillerie est terrible. Les obus sont percutants. Ils éclatent de toute part près de nous. L’on vient sous la mitraille, rapprovisionner la 3e compagnie de cartouches. Rien n’est comparable comme mitraille. Plusieurs blessés. A la compagnie, 24 blessés, 2 morts.
Mardi 15
Dès ce matin, l’artillerie Allemande commence sa rafale, qui est formidable. Si cela continue la journée, il ne restera plus rien du 129e. Les percuteurs de ? éclatent à 20 m de nous. Nous sommes dans des trous de tirailleurs sur le talus du chemin de fer. Beaucoup de copains blessés. La situation est la même jusqu’à 4h.
A 4h ½, ma section reçoit l’ordre de faire une attaque sur la ligne allemande. Nous sommes couverts par une patrouille de 5 hommes. Quittant la ligne du chemin de fer, nous avançons vers le bois par escouade commençant par la 7e à 200 m du bois ; les 7e et 10e sur la même ligne, la 11e à 30 m, rien ne nous protège. Les Allemands nous laissent approcher sans tirer un coup de feu, nous avançons toujours. Tout à coup, une décharge subite nous couche par terre, face contre terre. Nous recevons au moins 400 coups de fusil dans une minute. Le moment est terrible à passer. Les plus proches maisons sont à 60 m. risquant le tout pour le tout, je rampe et par bond très court et d’un seul coup j’avance d’une vingtaine de mètres. J’arrive à gagner les maisons. Plusieurs blessés râlent. Les balles ne cessent de siffler. Je porte l’ordre au sergent d’arrêter sa section et je reviens à la ligne gagnant d’un mur à l’autre. Un obus éclate faisant d’autres blessés de ma section. Ce fut terrible à voir : reste sur le champ de bataille les ?? corps. A 2h, ordre de garder le pont du canal. Les Allemands font une attaque.
Mercredi 16
Dès 4h et toute la nuit, la fusillade, le canon ont tonné. Nous sommes en tirailleurs au pont. L’artillerie allemande tire très fortement, toute la journée.
Jeudi 17
L’artillerie recommence. Les obus tombent près de nous. Ordre de ne pas bouger. Un, tombe à 10 m de nous, le deuxième, tombe sur nous. Je suis blessé à la cuisse droite et au cou. Le pis, mes quatre camarades sont morts près de moi. Je les quitte pour me faire panser. Dans le fossé, je rencontre Lucien Martin. Je vais à la Croix Rouge où l’on me panse, de nouveau et je rencontre Renard Quime qui me procure du pain. Je passe la nuit sur la paille avec les autres blessés. A 11h, les ambulances viennent nous prendre et nous emmènent à Merfy. Je reste plusieurs jours à la Croix Rouge. Je vois tous les blessés de ma compagnie. Je retourne à Gueux.
Le 18 et 19
Je vois brûler la cathédrale de Reims. Tous les habitants sont en peine.
Le 20 sept
Je reste à Gueux. A 4h du matin, messe pour les soldats et la cathédrale. On participe avec les copains. ==21 sept==' A F…..mes ?
Mardi 22, mercredi 23, jeudi 24, vendredi 25, samedi 26
A l’hôpital.
Dimanche 27
Retour à la compagnie. Attaque nocturne allemande, repoussée grâce à l’artillerie française.
Lundi 28
Nous étions au sud du château de St Yzieu ? ? cantonné dans un baraquement en paille. Vers 6h, nous recevons l’ordre de nous porter en avant au nord-est du château pour occuper des tranchées occupées par des Allemands. La cavalerie part faire une reconnaissance. Je rencontre Raymond Nous traversons le château, salué par de nombreuses salves d’artillerie. Les murs sont occupés par une partie du 129. La mission parait dangereuse, prise à la baïonnette. Nous quittons le bois, en marche contre l’artillerie. 3 obus arrivent sur nous. Nous sommes arrivés aux tranchées route de Reims. De nombreux morts Allemands et Français gisent pèle mêle dans la tranchée et dans la plaine. Je suis agent de liaison du capitaine qui m’avait cherché. Deux sections restent en arrière. Je refais le trajet sous le feu de l’artillerie qui nous repéré car les obus pleuvent de toutes part. Seul le 77e et 105e tirent. La nuit commence à tomber. Je porte un ordre au colonel. Je reviens : les travaux de terrassement continuent et je rapporte l’ordre que nous serons bientôt relevés. Tout à coup, une vive fusillade éclate au milieu de la nuit. Les patrouilles rentrent. Une mitrailleuse allemande augmente l’importance de l’attaque. Toute notre ligne répond immédiatement, au milieu des obus qui pleuvent de tous côtés. La fusillade continue, terrible. L’instant est critique car les munitions s’épuisent avec rapidité. 2 heures de fusillade et il reste 8 cartouches par hommes mais nous mettons la baïonnette, attendant au milieu de rares coups de fusil, un assaut allemand. Une ½heure se passe dans de terribles angoisses enfin finies car le 39e vient nous relever dans les tranchées. En allant prévenir le capitaine du manque de munitions, je tombe dans une patrouille du 39e : c’est la relève définitive. Nous quittons la tranchée. Après avoir traversé Merfy, nous allons bivouaquer dans le fort de St Yzieu ??
Mardi 29
Nous redescendons à Merfy où je mange la soupe avec Paul Ozanne.
Mercredi 30
Nouvelles de Jeanne et de ma sœur Suzanne.
Du jeudi 1er octobre au 10 octobre
Réduit de Chenay. Tranchées de nuit avec le génie.
Du 11 au 18 octobre
Réduit de Chenay. Tranchées à Vergennes ? =Du 19 au 31 octobre==' Siège de Brimont. Ferme des Berge… ? Occupation des tranchées de St Thierry faites par le Génie et le 39. Travaux très remarquables de tranchées. Nous sommes face aux boches du côté nord-est de Brimont. Devant nous la plaine pleine de tranchées. Voilà 6 jours que nous sommes ici ; l’eau tombe.
1er novembre
Retour à la ferme. Les Allemands bombardent les alentours car une pièce y est cachée. Nous faisons la tombe des camarades et de 3 boches.
2 novembre
Toussaint : Bénédiction des tombes.
Du 3 au 5 novembre
Occupation des tranchées dans la plaine de Courcy. L’on voit les boches dans leurs tranchées ; chaque fois qu’une tête dépasse les balles sifflent.
6 au 7 novembre
Relève. Retour à la ferme pour la nuit. Je reçois une longue lettre de ma chère Jeanne et une carte de Georges. Je réponds de suite.
Du 8 au 10 novembre
Nous occupons la bergerie de St Thierry. Nos pièces sont braquées, pour en cas de recul. Raymond vient me voir ; nous parlons longuement de nos chères petites car le temps commence à être long. Nous allons voir la tombe de nos camarades. Et Raymond doit écrire à Jeanne nos vérités.
11 novembre
Nous prenons notre tour dans les tranchées de la plaine de Courcy. Une vive attaque a lieu. Toutes les batteries de St Thierry ont donné. Les boches n’ont presque pas répondu. Nous avons brûlé 1500 cartouches à la 1ère pièce ; nous avons 5 blessés, un tué mais les boches ont dû subir de grosses pertes par notre artillerie.
Le 12
Nous sommes dans notre grosse, les 5 de la 1ère pièce. Nous avons passé la nuit à veiller. Le froid est intense ; la nuit a été noire ; le vent fait rage ; l’on sent que l’hiver arrive et s’il faut le passer dans les tranchées, cela va être dur. La pluie a commencé à tomber à 10h du soir jusqu’à 5h du matin ; nous sommes trempés. Vivement ce soir qu’on soit relevé où nous reprenons les tranchées de St Thierry. Le canon va cesser de tonner sur la ?. Ce matin, les 75 tapent juste sur les tranchées boches. L’on apprend que les Russes rentrent en Allemagne.
13 novembre
Je suis dans les tranchées de St Thierry. La nuit a été bonne pour nous mais à gauche, fusillade, un canon non arrêté. Tout doit avoir avancé sur Brimont.
Je reçois une lettre de ma Jeanne qui pour moi est chère car qu’elle m’apporte ce que j’ai de plus cher sur la terre : mère, ma Jeanne, Lucienne et mon petit Edouard. J’en suis très heureux car ce sera pour moi (si je reste) un précieux souvenir avec la photo de papa Paul, en soldat, souvenir d’une triste année 1914, une carte de ma sœur m’annonçant un paquet.
La journée est triste et pourtant, j’ai le cœur gai.
La pluie tombe fine ; Les obus passent sur notre tête et tombent dans St Thierry ; c’est de l’artillerie lourde.
Le 75 donne et arrête momentanément…
Le 22
J’ai reçu un paquet et deux lettres de ma Jeanne. Je porte 2 paquets de cigarettes à Raymond car je prends une tranchée de Courcy où j’ai fait un fourneau à charbon de bois pour faire chauffer notre jus et le manger. Je fais du chocolat !
Le temps est bon. Il gèle. Nous sommes mieux que par la pluie. Nous sommes relevés ce soir. J’écris à ma petite Jeanne.
Du 25 novembre au 7 décembre
Même occupation.
8 Décembre
Départ de St Thierry à 11 h du soir. Nous marchons toute la nuit jusqu’à Prouilly où l’on arrive à 9h du matin. Repos jusqu’à midi. La marche est assez pénible car il y a longtemps qu’on a fait une marche. Passage au 43e où je vois Paul.
Le pays n’est aucunement endommagé ; les boches n’ont fait que passer.
Départ à 1h pour Pontavert. L’on arrive dans un petit pays, Roucy, où l’on fait la grande halte. On attend la nuit pour franchir la crête que les boches dé….. ?
Départ, 9h du soir. L’on arrive à Pontavert, l’on passe le canal de l’Aisne, puis l’Aisne. Le pont a été coupé en deux. Un autre a été fait à l’improviste. Nous rentrons dans Pontavert : pas une maison n’est debout, tout est rasé.
Nous allons prendre nos positions dans un bois isolé en plaine où l’on relève le 73e et le 33e. Les Boches sont à Craonne et Berry au Bacq. 2 alertes en 2 nuits par le 36e.
Le 13 décembre
Nous sommes dans nos gourbis. Le bois est plutôt un cimetière : de nombreux camarades y sont enterrés. De tout côté, la plaine est remplie de cadavres de boches. A la ferme dite du « coléra, » plus de 800 boches sont tués depuis les derniers jours d’octobre.
Aujourd’hui, nous avons 2 tués dans le gourbi.
Du 13 au 24 décembre
Même vie. Bombardement du bois. Alerte fréquente de nuit. Notre artillerie fait souvent fumer celle des boches.
Le 24 décembre
Alerte à 6h jusqu’à 9.
La soupe comme réveillon, patate. Je reçois un lette de ma petite Jeannette pour le 4 e anniversaire de nos amours. Très gentille lettre.
A 9h ½, nous faisons les pompiers pour éteindre un gourbi en feu… je perds la lettre de ma petite Jeanne.
Le 25
Je déblaie la terre du gourbi pour avoir ma lettre. Je la retrouve…
La neige a tombé un peu pour fêter ce beau jour qui m’est si cher.
Du 26 décembre au 3 janvier 1915
Nous finissons très bien l’année 1914. Nous passons toute la nuit, les 2 pièces ensemble, avec quelques provisions réunies. A minuit, chacun chante sa chanson et nous fêtons l’an 1915, année probable de la libération et de la paix. A 8h du matin, nous buvons le champagne avec notre lieutenant et sergent et trinquons pour la paix.
Du 1er au 20 janvier 1915
Chaque jour, bombardement et alerte.
Le 21
Nous sommes bombardés dans nos gourbis, pourtant les boches ne nous atteignent pas et notre artillerie leur passe la purge. L’on nous parler d’aller au repos. L’on apprend la bataille de Soissons. 171 jours de campagne sans coucher dans un lit ni déshabillé.
Bois de Pontavert. Côte 87. En face de Craonne et Corbény.
Arrivé le 10 décembre 1914 en tranchée, sorti le 28 avril 1915.
Mme Françoise DelRio, fille de Robert Solleret ne possède que ce carnet.
Le parcours de Robert Solleret après janvier 1915.
Il sera nommé caporal le 16 août 1915, cité à l’ordre de la brigade n°10 du 11 octobre 1915 « Sous le feu violent d’une mitrailleuse allemande, a lui-même installé sa pièce de façon à pouvoir arrêter par son feu une contre-attaque, a réussi à briser le clan de l’ennemi. »
Disparu au combat de Frise (Somme) le 28 janvier 1916. Prisonnier Hameln. Rapatrié d’Allemagne le 19 décembre 1918.
Robert Solleret raconte dans un long poème intitulé « La dernière pipe » les circonstances de sa capture par l’ennemi et la mort de ses camarades.
La dernière pipe.
C’était pendant un jour de cette terrible guerre
Le brouillard s’élevait peu à peu de la terre
Et montait vers les nues. Nous n’étions là plus que quatre
Dans la même tranchée, prêts à nous faire abattre.
Non pas sans nous défendre, mais avec vaillance
Pour montrer aux Teutons que les soldats de France
Savent faire leur devoir car plus d’un d’entre nous
Etaient bien décidés à lutter jusqu’au bout.
Nous avons tous jurés en partant en campagne
De revenir vainqueur, de battre l’Allemagne
De chasser sans pitié la cohorte tragique
Qui avait envahi le sol de la Belgique
Et déchaîné sur nous son flot noir de démon.
De victoires, de lauriers chaque jour nous rêvions.
C’était le 25 septembre, nous nous battions toujours.
La mitraille avait plu pendant les six longs jours
Que nous avions passés attendant la relève
Qui ne venait jamais, seule l’appellation brève
Des officiers tranchait le silence de la nuit.
Quelques balles sifflaient, commencement du bruit
Qui semblait s’échapper des entrailles de la terre
Et au jour, monter, gronder comme un tonnerre.
Quand les canons allemands allaient entrer en danse
Tachant de dominer ceux de France.
On nous avait placés dans un champ de betteraves.
La place était mauvaise, il fallait être brave,
Résister malgré tout, tenir jusqu’à la mort,
Attendant vainement, sans espoir du renfort.
Nous étions isolés, loin de nos camarades,
Ecoutant jour et nuit pour déjouer l’embuscade.
Nous avions transformés la tranchée en redoute.
A quelques pas, tout près, là, un poste d’écoute
D’où, dès le premier jour, nous avions pu entendre
Les soldats allemands, nous crier de nous rendre.
Mais il fallait tenir, ne fusse que cent contre mille.
Ce matin, le hasard, on nous laissait tranquille
Et comme recueillis en cette heure suprême,
Il est doux de songer à ceux que l’on aime.
La pensée égarée, le front entre les mains
Chacun de nous songeait au bonheur de demain,
Aux baisers tendres et doux de la femme chère,
A la vieille maman ou à la jeune amie,
A l’amitié que l’être porte à l’être ici-bas
Car la vie est si courte, plus court est le trépas.
Nos voix s’élevant peu, parlant à mots couverts,
Ils ouvrirent cependant sur nous un feu d’enfer.
Leurs noirs canons crachaient la mitraille fumante,
La journée, sûrement, allait être sanglante.
Nous nous vîmes perdus, tous étant redressés,
L’œil jetant du feu, la poitrine oppressée
Dans un silence profond, nous attendions la mort.
Allait-elle venir, nous espérions encore.
Mais Dieu serait-il juste, l’espoir serait-il vain
Quand un des nôtres se redressa soudain
Une mâle figure, un enfant du Berry.
Je garderai l’anonyme en l’appelant Henri.
Un de ses compagnons qui ne connaissent pas
L’approche du danger, terminant son trépas.
Il venait de bourrer sa pipe méthodiquement
Et tenait le tuyau serré entre ses dents
Par petites saccades, rejetant la fumée
Qui lente s’envolait ! Oh la triste journée.
Sûrement celui-là allait faire son devoir
Se haussant sur la pointe des pieds pour mieux voir,
Inspectant l’horizon, le regard farouche,
Mâchonnant le tuyau, la pipe à la bouche,
Vit venir l’ennemi ; l’instant était tragique.
La lutte devenait de plus en plus épique.
Allons, debout les gars, dit-il d’un ton farouche,
Empoignez vos fusils, passez-moi des cartouches,
Pas de faiblesse de femmes, visez dans le troupeau,
Ajustez bien les coups et trouez-moi les peaux.
Hardi, hardi les gars, pas de mains dans les poches,
Tirez, mais tirez donc, les voilà qui approchent.
Nous nous redressâmes tous, comme par un ressort,
Brandissant nos fusils, ces instruments de mort.
Nous nous mîmes à tirer, l’œil chargé de courroux
Eclaircissant la masse des hommes aux yeux roux
Qui fauchaient dans nos rangs, tuant avec rage
Nos meilleurs copains et bientôt le carnage
Fût à son paroxysme ; je vis tomber
Le pauvre Berrychon, la mâchoire fracassée,
Ses pauvres yeux mourants qui se fixaient sur moi
Et son regard perdu, semblait dire « Venge-moi ».
Et mon deuxième ami s’affala tout à coup
Le troisième, oh ! Malheur tomba sur mes genoux
Puis je n’entendis plus que le râle des mourants.
Jetant les yeux sur moi, j’étais couvert de sang.
Par-dessus la tranchée, l’affreuse galopade
Des allemands passaient au loin ; la fusillade
Semblait s’être éloignée ; jetant des regards fous,
J’aperçu un vieillard qui me mettait en joue
Et me rendit à lui, finissant ma campagne
Devenant prisonnier des soldats d’Allemagne.
Si Dieu permet que je vive de longs jours
Il est des heures terribles qu’on se souvient toujours.
Je me rappellerai de cette heure tragique
Que j’ai passé là-bas, me battant dans Frise,
Revoyant dans mes rêves le pauvre Berrychon
Qui dort sous cette terre un sommeil profond.
Je n’oublierai jamais le feu de son regard
Et reverrai toujours ses deux grands yeux hagards
Sa face qui grimaçait sa machine sanglante
Les lippes de ses lèvres qui s’abattaient saignantes
Ses pauvres dents à nues serrant avec fureur
Le tuyau de sa pipe et son regard vengeur.
(Fait pendant ma captivité à Hameln Weser le 10 juin 1916. Robert Solleret).
Sources:
- Archives familiales de Mme Françoise Del Rio, fille de Robert Solleret.
- http://www.archives.yvelines.fr/ : Fiche matricule de Robert Solleret.
- https://grandeguerre.icrc.org/fr : Fiche de Robert Solleret prisonnier à Hameln.