Archives départementales de Seine-et-Oise

De Le Wiki de la Grande Guerre

Au moment de la déclaration de guerre, le 3 août 1914, les Archives départementales de Seine-et-Oise sont dirigées par André Lesort, archiviste paléographe alors dans la force de l'âge (38 ans), qui en a pris la tête quelque deux ans auparavant. Le service se compose en outre de 5 personnes : un garçon de bureau, M. Ceccaldi ; 2 employés, M. Delprat et Mme Barbier-Bouvet ; 1 commis principal, M. Lamain.

Les archives sont installées à l'hôtel de la préfecture, dans des locaux spécialement conçus à cet effet, et somme toute plutôt modernes pour l'époque. Les magasins, trois galeries équipées de rayonnages, peuvent recevoir environ 5 km linéaires de documents. Une grande salle accueille tout à la fois les bureaux du personnel et le public, qui dispose de six places autour d'une grande table et qui peut consulter sur un grand comptoir les atlas du cadastre, placés là en libre accès. Enfin, l'archiviste départemental dispose de son propre bureau, un cabinet contigü à cette pièce. La lumière électrique a remplacé la lampe à pétrole au cours de l'été 1913 et le chauffage central a été installé plus récemment encore, rendant obsolète le vieux poêle en faïence de la grande salle qui laissait échapper de mauvaises odeurs, et donnant à espérer que le bureau de l'archiviste, dont la cheminée chauffe très mal, sera enfin utilisable avant la fin de la matinée durant les hivers rigoureux.

Au quotidien, le service reçoit, trie et classe les archives que lui versent les administrations du département. Entre juillet 1913 et juillet 1914, il a ainsi reçu plus de 5000 liasses, parmi lesquelles les archives d'Ancien Régime et de la période révolutionnaire encore conservées par les tribunaux du département. Pendant la même période, le service a réalisé plus de 3000 recherches pour les particuliers comme pour les administrations. Compte tenu de sa formation, l'archiviste départemental se réserve le classement des fonds les plus anciens, aidé le cas échéant par un élève de l'École des chartes en stage.


Un quotidien bouleversé

André Lesort, le directeur, et Ceccaldi, le garçon de bureau, sont mobilisés dès le début du conflit. M. Delprat et Mme Barbier- Bouvier sont redéployés vers d'autres services de la préfecture. Jusqu'en septembre 1917, Maurice Lamain reste seul pour gérer le service. À cette date, Lesort, rendu à la vie civile, reprend ses fonctions en même temps qu'il assure la direction du service des réfugiés et reconstitue les effectifs des Archives.

Les versements d'archives sont ralentis : 3400 liasses en 1914-1915, puis 2000 à 2500 les années suivantes et seulement 730 en 1917-1918. Cela vaut mieux, car non seulement Lamain est seul pour les recevoir, mais en plus il n'y a pas de place sur les rayonnages et il doit entasser les archives à même le sol.

Le nombre de recherches, par correspondance pour l'essentiel, est divisé par trois par rapport à la période d'avant-guerre, mais représente encore chaque année plus d'un millier de demande. Le type de recherches dont il s'agit a profondément évolué puisque Lamain note qu'il n'y a presque plus de demandes émanant de particuliers et que, durant la première année de guerre, il est amené à délivrer plus de 600 certificats d'exemption du service militaire, ce qui représente 60% des recherches réalisées. Au mois d'août 1914, débordé par les demandes de certificats, il a été très heureux de pouvoir compter sur l'aide de l'ancien archiviste départemental, M. Coüard, qui ne cessera, durant l'absence de Lesort, de l'épauler. En 1917, il se propose même pour remplacer quelques jours Lamain, durant ses congés. En juillet 1916, il note avoir bénéficié de l'aide d'un élève de l'Ecole des Hautes Études, Houth fils. Il peut également s'appuyer sur Lesort, avec lequel il est manifestement resté en contact et qui l'aide notamment à rédiger le rapport d'activité portant sur l'année 1914-1915.

Vers le 15 septembre 1914 et jusqu'à la mi-février 1915, la salle du public est affectée au service du bureau militaire de la préfecture, surchargé d'affaires au lendemain de la mobilisation générale. Une quinzaine de militaires, placés sous la surveillance de deux maréchaux des logis d'artillerie, sont chargés de la préparation de la classe 1915 et de l'établissement des listes pour la révision des exemptés et réformés. La salle est ensuite affectée à la commission d'évaluation des réquisitions militaires, dont les séances se tiennent quotidiennement. Lamain s'entend bien avec les militaires mais se méfiant de leur propension à fumer en tous lieux, placarde dans le local des affiches rappelant l'interdiction de fumer aux Archives départementales. À son retour, fin 1917, Lesort obtient d'installer le service des réfugiés dont il prend la tête dans les mêmes locaux que les Archives. Cela lui permet de refouler la commission dans un corridor qui longe les magasins d'archives du rez-de-chaussée, où sont également installés divers services de guerre (main d'œuvre agricole, répartition du sucre, étrangers, contrôle des battages, etc.). En réaménageant quelque peu les lieux, il obtient un espace décent pour le personneĺ des deux services dont il a la charge et pour l'accueil du public : le grand comptoir contenant les atlas du cadastre est transporté dans la première salle du dépôt, laquelle, isolée des autres par une cloison en bois et une porte capitonnée pour y conserver la chaleur, devient une salle de travail provisoire.

Le fonctionnement du service se complique aussi du fait des difficultés de ravitaillement et du renchérissement des prix. Les travaux prévus avant-guerre (rafraîchissement des peintures et des papiers, poursuite de l'installation du chauffage central dans les magasins des étages) sont reportés sine die. Lamain obtient en revanche les crédits nécessaires à l'installation de près de 200 ml d'étagères mais, au moment de réaliser les travaux, fin 1915, les prix du bois ont tellement augmenté qu'il n'est possible que d'en installer la moitié. Quant au charbon, la pénurie est telle que le chauffage central inauguré pendant l'hiver 1914-1915, ne sera pas remis en fonctionnement les deux hivers suivants.


Protéger les archives

En Juillet 1915, Maurice Lamain reçoit l’inspecteur général Camille Bloch, envoyé par le directeur des Archives en tournée d'inspection dans les départements les plus exposés pour y recueillir tous les renseignements possibles sur les mesures de protection des archives et les dégradations que l’ennemi leur aurait déjà fait subir.

Bloch aide Lamain à dresser la liste des documents d'archives les plus précieux du dépôt, ceux qu'il lui reviendra d'évacuer en priorité si la situation venait à l'exiger. Mais ce n'est qu'en 1918 , au moment où l'avançe allemande est à nouveau à craindre et à l'initiative de Lesort, que les séries les plus précieuses sont retirées du 2e étage et entreposées dans une cave de la préfecture, soigneusement conditionnées dans des ballots goudronnés , de manière à les protéger en cas de bombardement et à les évacuer plus facilement en cas d'incendie.

Il n'y aura cependant aucune perte à déplorer en Seine-et-Oise, où le plus grand danger auquel aient été confrontées les archives départementales est sans doute la poussière, qui semble s'accumuler dans les dépôts à une vitesse et à un niveau inhabituels. Suite aux observations faites par Bloch lors de son inspection, Lamain obtient que soit procédé, en 1916, au nettoyage du dépôt, confié à un entrepreneur de peintures. Pendant 3 semaines, 6 ouvriers ont soigneusement épousseté, balayé et lavé sol, meubles et carreaux. La toiture a ensuite été refaite. Mais la poussière se réinstalle rapidement, s'infiltrant par les fenêtres mal jointes et constituant durant les années de guerre un problème récurrent.

La constitution d'une "collection de guerre"

Très tôt se multiplient dans tout le pays les initiatives publiques ou privées pour constituer une mémoire de la guerre en cours. En janvier 1915, les Archives de France prescrivent à tous les services départementaux de réunir les affiches touchant de près ou de loin à la guerre. À partir de ce moment, Lamain déploiera tous les efforts possibles pour réunir une collection d'imprimés la plus complète et la plus diversifiée possible.

Lamain se rapproche d'abord des imprimeurs et peut se flatter, 6 mois plus tard, d'avoir déjà rassemblé 177 affiches, dont celles relatives aux Journées de solidarité instituées avec l'appui du gouvernement pour venir en aide aux réfugiés et malheureux, ainsi que tous les numéros du Bulletin des Communes publié par la préfecture à partir des informations fournies chaque jour par un télégramme du ministère de l'intérieur, et affiché par les soins des municipalités de Seine-et-Oise dans toutes les communes du département pour la période allant du 1er août au 24 novembre 1914.

Lamain décide d'étendre sa collecte aux journaux. Il prend pour le service plusieurs abonnements mais peut aussi compter sur des particuliers (des membres de la commission locale des antiquités et objets d'art, un réfugié Belge) qui font don des numéros de leurs journaux favoris sitôt qu'ils les ont lu. Il réunit ainsi une collection de journaux nationaux (Le Petit Parisien, Le Matin, Le Temps, L'Echo de Paris), locaux (Le Petit Versaillais, Le Semeur), étrangers (La Gazette de Lausanne, Le Journal de Genève, La Suisse, L'Indépendance Belge), et même des journaux du front (Le Diable au cor, Le Poilu, L'Echo des marmites) qui sont déposés aux archives par des "amis et des personnes complaisantes et dont il pense que la "collection fort curieuse et très spirituelle sera consultée après la guerre par les travailleurs qui écriront plus tard l'histoire des grandes heures que nous vivons depuis deux ans déjà".

Enfin, Lamain s'attache également à constituer une bibliothèque relative au conflit en cours. En 1915-1916, il achète plus de 200 ouvrages sur le sujet, dont 103 ouvrages de la collection des pages d'histoire (Librairie militaire Berger-Levrault) et entame l'année suivante des échanges avec la bibliothèque municipale de Lyon, qui constitue elle aussi un fonds relatif à la guerre, qui comprend déjà 17 000 titres.

À son retour, Lesort continue sur cette lancée : "notre collection de guerre s'est enrichie d'un grand nombre de pièces imprimées, recueillies de divers côtés particulièrement au cours de l'inspection des archives communales". Mais, ce qui était le grand œuvre de Lamain, devient pour Lesort une activité parmi d'autres dont il ne prend plus la peine de détailler les résultats dans le rapport annuel du service qu'il livre en 1918 puis 1919.

Sources

Rapports annuels de l'archiviste départemental, 1915-1919, publiés dans les volumes annuels des Délibérations du Conseil général de Seine-et-Oise (disponibles en salle de lecture des Archives départementales des Yvelines).