Chronique d'août 1916 : Les soldats des troupes coloniales
Avant la Première Guerre mondiale, la désignation des troupes coloniales est complexe. On fait la différence entre de nombreuses catégories en fonction de l’origine géographique mais aussi selon que les hommes sont originaires de la métropole - métropolitains et colons - et envoyés outremer ou bien indigènes recrutés dans les colonies et protectorats.
Avec la guerre, la levée en masse de troupes modifie et simplifie le vocabulaire. Le terme troupes coloniales désigne alors les soldats originaires des colonies c’est-à-dire essentiellement de l’Afrique du Nord, d’AOF, d’AEF, de Madagascar et d’Indochine. Ils sont environ 600 000 combattants au total dont une majorité d’Africains.
Ces troupes coloniales participent à tous les coups durs, particulièrement les Africains. Sur la durée du conflit environ 130 000 noirs auront combattu en Europe.
Les autorités se soucient du respect des particularités culturelles et religieuses. Des instructions sont données pour respecter les interdits alimentaires, les fêtes et rites religieux de ces soldats d’outre-mer et limiter les tentatives de conversion. Cependant ils sont aussi victimes de discrimination : peu de promotions, peu d’augmentation de solde, moins de permissions que les métropolitains.
Ces soldats semblent globalement bien intégrés au front. Ils sont accueillis avec bienveillance à l’arrière et ils sont l’objet d’attentions particulières des infirmières et des marraines qui sont attendries par la solitude et l’éloignement de ces soldats. D’ailleurs très vite l’état-major tente de freiner les relations entre les troupes coloniales et ces femmes d’autant plus que se développent des discours moqueurs ou emplis de sous-entendus sur les liens entre certaines marraines et tirailleurs sénégalais à la sexualité soit disant débridée.
Cet article du Petit Mantais illustre bien tous ces aspects.
On note dans l’article la mention des « généraux et vaillants corps d’officiers coloniaux » qui fait référence selon l’ancienne appellation aux soldats métropolitains envoyés dans les colonies pour former et commander les troupes indigènes, celles de la « France lointaine » et pour leur apprendre « à aimer notre pays ».
Il s’agit là d’un « brave Sénégalais » évacué après une blessure sur le front de la Somme et « mort en défendant la France ». Il est, dans la suite de l’article, désigné comme l’archétype du combattant colonial puisqu’ il est appelé « fils de l’Afrique » et le mythe du soldat noir qui séduit apparaît dans l’expression « superbe soldat noir ». Le journaliste précise que ce soldat n’a pas été maltraité et qu’il est mort de ses blessures, non par manque de soins mais à cause d’une embolie.
Enfin le journaliste dans un souci pédagogique explique les rites musulmans selon lesquels il a été enterré. En cela les autorités de Mantes se conforment à la circulaire ministérielle du 3 décembre 1914 qui précise les règles à suivre pour l’inhumation des soldats musulmans : la chahada (acte de foi affirmant qu’ il n’y a pas d’autre dieu que Dieu et que Mahomet est son prophète) doit être récitée l’index levé par le mourant ou à sa mort par un coreligionnaire puis le corps doit être placé dans un linceul de cotonnade blanche et transporté sur une civière tenue par des musulmans qui président seuls la cérémonie souvent en présence d’un imam. L’ensevelissement du corps doit se faire sans cercueil dans une tombe orientée sud-ouest / nord-est, le visage devant être tourné vers La Mecque. Deux stèles avec inscription doivent être placées l’une à la tête l’autre au pied de la tombe.
Ces rites d’enterrement surprennent les civils mais aussi les soldats surtout lorsqu’ils ont lieu en présence d’autres musulmans qui les accompagnent de mélopées arabes. Bien peu de Français à l’époque ont une connaissance de l’islam. Au front ces rites ne peuvent pas toujours être respectés facilement mais ils le sont à l’arrière dans la mesure du possible.
Isabelle ATTARD-AMAN
Pour aller plus loin :
Les soldats des colonies dans la première guerre mondiale, Chantal Antier- Reznaud et Christian Le Corre, Ouest France, 2008